• La vérité sur les contes de fées

    La vérité sur les contes de fées

    Les chroniques de Narnia ont ceci de phénoménal que leurs fans défient toute catégorisation, en particulier par rapport à l’âge, un succès intergénérationnel qui n’est guère égalé que par les fables de la Fontaine. Cela confirme la conviction de C. S. Lewis selon laquelle une bonne histoire est une histoire que les gens apprécieront sans distinction d’âge. Pour lui, l’embarras des adultes a lire des histoires d’enfants relevait de la stupidité : l’essentiel de ce qui fait une bonne histoire s’applique à toutes les histoires, qu’elles soient destinées à une fillette de maternelle ou un adulte sophistiqué. « Aucun livre qui ne vaut vraiment la peine d’être lu à 10 ans ne vaut tout autant (voire beaucoup plus) la peine d’être lu à 50 ans »,1 a-t-il écrit. Il pensait que l’évolution de l’appréciation de la littérature devrait ressembler à un arbre qui gagne des anneaux de croissance avec le temps plutôt qu’à un train « qui quitterait une station pour filer à toute vapeur vers la suivante ».2

    Une partie de l’erreur, comme le savait Lewis grâce à son expérience de la littérature, consiste à considérer le conte de fées comme un genre réservé de manière exclusive aux tout-petits. Comme l’a fait remarquer J. R. R. Tolkien dans son essai « On Fairy Tales », à peu près partout et à toutes les époques, les contes de fées n’étaient pas destinés aux enfants mais aux adultes. Ainsi, les contes de Perrault (Barbe-Bleue, le Petit Chaperon Rouge, le Petit Poucet…) étaient à la base des histoires d’épouvante (des « thrillers », comme on dit aujourd’hui).
    Les contes de fées présentaient sous une forme mythique de puissantes vérités qui méritaient la considération d’esprits adultes et rassis. Comme nous le rappelle l’apologiste G. K. Chesterton, qui eut une très grande influence sur la théologie de Lewis, des histoires comme « La Belle et la Bête » nous enseignent qu’un être doit être aimé avant qu’il devienne digne d’être aimé, une vérité profonde qui nous en dit beaucoup sur la valeur que le Seigneur nous accorde. Il nous rappelle aussi que « La Belle au Bois Dormant » nous indique comment l’être humain a reçu des dons fabuleux à la naissance mais la malédiction de la mort aussi.3
    Lewis nous apprend que les contes de fées « firent leur chemin vers la crèche lorsqu’ils cessèrent d’être à la mode dans les cercles littéraires, de même que les vêtements passés de mode se retrouvaient à la nursery dans les maisons victoriennes ».2

    Gilbert Keith Chesterton
    Gilbert Keith Chesterton (29/5/1874–14/6/1936)

    Aujourd’hui, les éditeurs d’œuvres de fiction comportant des créatures mythiques ou extraterrestres et des évènements surnaturels qualifient ces genres de fantasy et de science-fiction, respectivement, pour éviter l’amalgame puéril avec les contes de fées. De même, certains adultes aiment les contes de Perrault, ou d’Andersen, ou des Mille et Une Nuits, mais on ne risque pas de les surprendre à les lire dans la salle d’attente de leur dentiste… Lewis fait remarquer qu’une telle attitude envers cette littérature n’a rien à voir avec le fait qu’elle convienne aux adultes ou pas. Elle indique simplement un désir de se donner l’air d’avoir acquis des goûts matures, ce qui est une attitude puérile bad.

    « Se faire du souci au sujet de savoir si l’on est adulte ou pas, admirer l’adulte juste parce qu’il est adulte, rougir à l’idée qu’on puisse être considéré comme puéril, toutes ces choses sont les marques de l’enfance et de l’adolescence. […] Quand j’avais 10 ans, je lisais des contes de fées en secret, et j’aurais eu honte d’avoir été surpris à le faire. Quand je suis devenu un homme, j’ai mis de côté les choses puériles, y compris la peur de la puérilité et le désir d’être très adulte. »4

    Ainsi, Lewis avait une forme de maturité que beaucoup d’adultes n’ont pas : il ne prenait jamais les enfants de haut cool. En fait, cela l’ébahissait qu’un auteur quelconque pût se permettre une pareille attitude. Une femme lui a envoyé un manuscrit d’une histoire pour enfants centrée sur un gadget mécanique qui donnait à un enfant tout ce qu’il voulait s’il appuyait les bons boutons. Lewis a dû lui dire qu’il n’avait jamais vraiment éprouvé d’intérêt pour ce genre d’histoires no. Elle répondit : « Moi non plus, ça m’ennuie à mourir. Mais c’est ce que l’enfant moderne veut. » Elle ne faisait qu’utiliser une stratégie marketing qui a fait ses preuves : chercher une catégorie de consommateurs et leur donner ce qu’ils recherchent (qu’importe à quel point elle le méprise). Mais Lewis était incapable d’écrire de cette façon. Quand il écrivait une histoire pour enfants, il ne s’adressait pas à ses lecteurs comme à une catégorie spéciale de personnes qu’il fallait chouchouter, mais comme à une société de lecteurs dont il faisait partie. Et le succès phénoménal des chroniques de Narnia prouve qu’il savait ce qu’il faisait.

    Il existe des chrétiens qui évitent comme la peste toute forme de littérature fantastique contenant de la magie ou d’autres impossibilités. Ils pensent que ces histoires déforment la vérité ou les dénoncent comme une évasion de la réalité. Lewis lui-même a rencontré ce genre d’attitude et a réduit au silence ce genre d’objections en montrant que d’une certaine manière, ce genre d’histoire est « plus vraie » que ce que les enfants lisent dans la fiction d’ aujourd’hui. Les adultes qui croient les enfants incapables de différencier le factuel et le fantastique les sous-estiment no – aucun enfant ne va penser que les contes de fées sont réels. Les histoires pour les enfants qui ont la prétention au réalisme ont plus de chances de les entraîner dans la pire sorte d’évasion de la réalité, les poussant à s’imaginer comme la star de football, ou la beauté de la classe, ou le gagnant de tous les championnats de l’école – des buts techniquement pas impossibles à atteindre, mais extrêmement improbables pour la plupart des gens à part pour quelques heureux (?) élus. « Je ne me suis jamais attendu à ce que le monde réel fût semblable à celui des contes de fées », a écrit Lewis. « Je pense que je m’attendais à ce que l’école fût comme dans les histoires d’école. Les contes de fées ne m’ont pas trompé, les histoires d’école, si. »5 Il trouvait la manière dont les fictions réalistes faisait rêver dangereuse et égocentrique. Les enfants s’y réfugient pour échapper à l’humiliation et aux déceptions qu’ils rencontrent dans le monde réel. Le plaisir qu’ils en retirent consiste à s’imaginer en objets d’admiration – de la flatterie de l’égo, quoi…

    Le désir éveillé par le conte fantastique est tout à fait différent. L’enfant qui lit ce genre d’histoire n’a pas envie d’affronter le danger des dragons, des géants, des orques (ces pouilleux) et des méchants magiciens. Son désir est diffusé à travers l’intégralité du monde fictif où il entre, et il est impossible d’identifier un seul objet précis de ce désir. L’aura magique des châteaux, des chevaliers, des sortilèges, des bois enchantés, des montagnes brumeuses, des nains, des cavernes, de la bravoure et de l’honneur l’attire. Comme le dit Lewis : « ça l’inspire et le trouble (l’enrichissant ainsi pour la vie) du sens obscur de quelque chose au-delà de sa portée et, loin d’affadir ou de vider le monde réel, lui donne une nouvelle dimension de profondeur. Il ne méprise pas les forêts parce qu’il a lu des choses sur des forêts enchantées : la lecture rend toutes les forêts un peu enchantées. »6

    À propos de cette histoire comme quoi la littérature fantastique serait dangereuse parce que c’est de l’évasion de la réalité, Tolkien a dit à Lewis : « Quelle catégorie d’hommes t’attendrais-tu le plus à se faire du souci, et à être le plus hostile, à l’idée d’évasion ? » La réponse : les geôliers ! Lewis décrivait la vie chrétienne comme une guerre où les chrétiens vivent en territoire ennemi. Il va de soi que nos ennemis feront tout pour nous empêcher de nous évader, ils condamneront toute sorte de lecture qui ouvre la porte pour nous montrer la gloire de notre véritable Maréchal, qui nous inspire à nous rallier à Lui et à briser le joug de l’oppresseur. Et ça, c’est une réalité primordiale que le Narnien résident comme l’immigré à Narnia doivent assimiler.

    1. Lewis, C. S., « Letters to Children », p. 14. Revenir au texte.
    2. Lewis, C. S., « On Three Ways of Writing for Children », in « On Stories and Other Essays in Literature », p. 35. Revenir au texte.
    3. Chesterton, G. K., « Orthodoxy », p. 50. Revenir au texte.
    4. Lewis, C. S., op. cit., p. 34. Revenir au texte.
    5. Op. cit., p. 31. Revenir au texte.
    6. Op. cit., p. 38. Revenir au texte.
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