• Le wahhabisme, à la racine du takfirisme

    Le wahhabisme

    Introduction

    Les médias n’ont de cesse de marteler les expressions en « -isme » relatives à l’islam pour définir une personne qui aurait commis des attentats terroristes, ou pour discréditer les musulmans en faisant planer la bonne vieille menace de l’islamisation de la France, qui est devenue, pour beaucoup, une préoccupation bien plus que la misère, le chômage, l’inflation et autres données économiques qui expliquent qu’il y a des gens qui meurent de faim dans les rues d’un pays prétendument riche. C’est ainsi que fondamentalisme, salafisme, rigorisme, islamisme, extrémisme riment avec « terrorisme » et finissent, grâce au flou médiatique et au bon vieux procédé psychologique de l’analogie qui est utilisé dans le conditionnement de l’individu, par être synonymes dans l’esprit des gens. C’est à se demander quand viendra le tour du « christianisme » dans cette longue série de fausses rimes. Pourtant, ils n’ont pas idée d’y inclure une doctrine musulmane mère du terrorisme takfiriste : le wahhabisme, et pour cause : c’est celle des riches ressortissants des pays du Golfe avec qui la France entretient d’excellentes relations, surtout lorsqu’il s’agit de financer des équipes de football qui permettent au peuple d’opérer une catharsis nécessaire aux frustrations que la politique de l’État engendre. Afin de démolir les idées reçues sur l’islam, qui est instrumentalisé politiquement par tous types d’adversaires, qu’ils se réclament eux-mêmes de cette religion ou qu’ils lui jettent publiquement l’opprobre, il convient de faire lumière sur la doctrine du wahhabisme, qui est certainement l’aboutissement de la transposition de la logique politique sur le plan religieux, représentant ainsi parfaitement la légitimation d’une volonté de conquête par des considérations prétendument spirituelles. Tout ceci, bien évidemment, dans une logique de recherche de la vérité, car en tant que disciples du Christ, elle nous est salutaire (Jn. 14:6 ; 8:32). Dans cet article, nous allons donc nous intéresser à cette école sunnite théologiquement controversée et qui alimente les discours de ceux qui sèment la terreur islamiste dans le monde.

    Genèse

    Le terme « wahhabisme » est issu du prédicateur Mohammed Ben Abdelwahab, né en 1703 dans la province d’Ouyayna, dans l’actuelle Arabie Saoudite. Sa tribu, celle des Banu Tamim, est de rite hanbalite, une des quatre écoles de l’islam sunnite, nommée à partir de l’imam Ahmed ibn Hanbal, qui plaçait les ahadith sur un même piédestal que le Coran. Il devint un disciple de Mohammed Hayya ibn Sindhi, un jurisconsulte d’origine pakistanaise qu’il rencontra à Médine.1 Ce dernier était connu pour tirer des points doctrinaux à la fois des hanbalites et des hanafites et pour considérer les ahadith comme les textes piliers à toute règle de vie musulmane. Il mit dans le crâne d'Abdelwahab que l’islam avait été avili par le laxisme et le modernisme des sédentaires en exigeant un retour à la « pureté » doctrinale telle qu’énoncée par le leader de l’école hanbalite, Ahmad ibn Hanbal. Mohammed Ben Abdelwahab devint très vite un prédicateur ambitieux, qui attira, entre autres, le gouverneur de sa province d’origine, Ouyayna. Il conclut un pacte tacite avec ce dernier, lui promettant de lui offrir une légitimité théologique et juridique et de l’aider à élargir sa conquête territoriale, à condition que ce dernier contribuât à la diffusion de ses idées. C’est ainsi que le gouverneur, sous l’influence d’Abdelwahab, fit abattre les arbres « sacrés » de la région et lapider une jeune femme qui avait avoué avoir commis l’adultère. Après qu’un chef de tribu eût exercé un chantage sur la personne du gouverneur pour évincer Abdelwahab, ce dernier se vit condamné à l’exil.

    Il s’installa ainsi dans la province de Diriyah, située à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Riyad, qui était alors dirigée par Mohammed Ibn Saoud.2 Il conclut un pacte avec ce dernier en ces mots : « Je veux que vous me prêtiez serment de faire la guerre sainte contre les mécréants. En retour, vous serez proclamé imam et leader de la communauté musulmane, et je serai, quant à moi, le chef de file dans le domaine religieux. » Mohammed Ibn Saoud, qui avait des velléités de conquête et de pouvoir, accepta le pacte, qui fut conclu en 1744. C’est ainsi que l’expansion du wahhabisme se fit en parallèle aux conquêtes des Saoud, le 1er servant de base et de légitimité idéologique aux 2ds. Les partisans d'Abdelwahab sont toujours liés, 3 siècles après, aux Saoud, comme les doigts de la main. En effet, les descendants d’Abdelwahab (qui épousa une Saoud), la famille Alashaykh,3 ont toujours été les leaders des institutions religieuses de l’Arabie Saoudite, s’attachant à légitimer moralement et religieusement le pouvoir des Saoud.

    Doctrine

    Le pilier de la doctrine du wahhabisme est la conversion forcée par la conquête.4 Le musulman doit faire acte d’allégeance à son roi en vue de sa rédemption dans l’au-delà (bayah), et le roi doit diriger son peuple selon le commandement divin qui ne serait autre que le wahhabisme. Cette doctrine exclut ainsi d’emblée tout ce qui n’est pas son interprétation de l’islam et va jusqu’à jeter l’anathème sur les autres doctrines. En érigeant la Sunnah et les ahadith comme les piliers fondamentaux de l’islam dans sa forme la plus « pure », il rejette toute tentative de modernisation de ce dernier et refuse toute critique historique de ces textes (ceci est d’autant plus alarmant, lorsqu’on connaît la « valeur historique » des hadiths et de la Sunnah, qui doivent faire l’objet d’un autre article).

    Les wahhabites se considèrent d’abord comme des « salafistes ».5 Le salafisme provient du mot « salaf » qui signifie « prédécesseur » et qui fait référence aux compagnons du prophète : il s’agit donc du retour fantasmé à l’islam des origines. Le wahhabisme est effectivement une « orientation particulière » du salafisme (qui connaît d’autres acceptions), ce qui explique qu’il considère la religion comme immuable et inadaptable à la modernité et en rejette donc toute innovation (bid’ah). Il ne s’agit en effet pas pour eux de suivre l’esprit des recommandations du prophète tels que rapportés par la Sunnah ou les ahadith, mais plutôt de les appliquer à la lettre même aussi anachroniques qu’elles soient, tout comme pour celles du Coran dont la valeur parabolique des versets est ignorée.

    Le wahhabisme, en s’attachant davantage aux écrits d’auteurs comme Ibn Hanbal, a, en outre, réduit l’intérêt d’une classification selon des critères de recevabilité des ahadith, puisque les écrits de jurisconsultes qui sont considérés « purs » d’un point de vue doctrinal par les wahhabites admettent des ahadith qui sont aujourd’hui controversés, l’élément de recevabilité étant plus laxiste à l’époque de leur rédaction. Or wahhabisme et Saoud sont indissociables, ces derniers se sont donc nourris aux thèses les plus folkloriques des prédicateurs wahhabites les plus rigoristes pour mettre en place des lois liberticides et pour le moins farfelues6 tels que :

    • interdiction de jouer ou d’écouter de la musique
    • interdiction de danser
    • interdiction de jouer aux échecs
    • interdiction de jouer ou d’écrire un scénario de fiction
    • interdiction de détenir ou de toucher des chiens
    • etc.

    Les docteurs wahhabites s’amusent, en outre, à jeter l’anathème sur toute pratique contraire à leur propre vision du monde, et disposant d’un pouvoir absolu en Arabie Saoudite par l’entremise des souverains, il se plaisent à ériger en codes moraux tout ce qui peut émaner de leurs esprits perturbés sans craindre les réfutations qui sont, de toute manière, punies sévèrement. Ce fait explique notamment la place de la femme dans la monarchie (sa mise sous tutelle, l’interdiction de la mixité dans les lieux publics, etc.) qui est, tenez vous bien, issu non pas de la doctrine musulmane mais des mœurs polythéistes locales héritées de l’époque anté-islamique.

    Portée

    Le wahhabisme prend son essor avec la découverte des gisements de pétrole qui enrichissent considérablement les Saoud, ainsi qu’avec le Pacte de Quincy du 14 février 1945 (scellé sur le croiseur éponyme) avec les États-Unis qui assurent aujourd’hui encore une bienveillance envers la diffusion des thèses wahhabites dans les pays occidentaux par leurs dirigeants.7 Grâce à la manne financière, on assiste à une internationalisation du wahhabisme (distribution de livres, chaînes de télévision satellitaires faisant la promotion du wahhabisme, financement d’universités et d’écoles coraniques) qui va pousser les gens à abandonner leur culture religieuse d’ancrage.8 Le salafisme a la capacité de produire un discours sans culture qui lui permet d’avoir une certaine internationalité. Le wahhabisme propose en outre un islam en kit : l’apparence de la piété revêt une grande importance pour les nouveaux prédicateurs wahhabites qui prônent la sauvegarde d’une barbe épaisse et longue ou l’interdiction de porter des habits européens.

    Sans entrer dans les considérations de financement des mouvements terroristes par les Saoud, il est cependant utile de rappeler le rapprochement entre leur doctrine et le wahhabisme. En effet, le takfirisme9 est d’origine wahhabite. Comme nous l’avons vu plus haut, le wahhabisme a pour base l’endoctrinement par la conquête et les groupuscules terroristes ne veillent qu’à la stricte application de ce principe. On pourrait dire que le takfirisme est un wahhabisme poussé à son extrême, puisqu’il ne s’agit dès lors plus de rechercher une « pureté doctrinale » fantasmée mais de le limiter à sa seule dimension de « djihad »10 (que l’on considère comme étant la guerre sainte). Les takfiristes s’alimentent des fatwas les plus folles des nouveaux prédicateurs wahhabites qui concernent le combat armé en les substituant, en tant que règles, aux commandements du Coran, des ahadith et de la Sunnah.

    Nous avons vu dans cet article que le wahhabisme est bien moins une doctrine théologique qu’un alibi politique. Son instigateur Abdelwahab avait moins la volonté de comprendre les textes religieux musulmans que de servir ses ambitions de pouvoir en vendant ses thèses au plus offrant tout en lui procurant une légitimité morale pour ses velléités de conquête. Le wahhabisme est donc indissociable de la monarchie saoudienne et cette dernière est indissociable du wahhabisme, qui ne peut donc être considéré comme un réel salafisme ou « retour aux sources » tel qu’il prétend l’être, mais plutôt comme un islam réformé qui sert de substrat idéologique et religieux à la guerre et à la conquête. Nous comprenons donc mieux pourquoi les médias nous servent un tour de passe-passe en nous faisant croire que l’islam dans sa forme la plus pure est un condensé d’appels au meurtre et à la violence, puisque c’est précisément ce que les Saoud, qui sont les meilleurs amis du monde occidental, veulent faire croire au reste du monde pour justifier leurs exactions. Or, il serait utile de rappeler que le wahhabisme n’est qu’une des nombreuses subdivisons du rite hanbalite, qui est lui-même une subdivision du sunnisme, et que le salafisme tel qu’instrumentalisé par les wahhabites n’est lui-même qu’une subdivision du mouvement salafiste. Tout cela pour vous dire que cantonner l’islam au wahhabisme est aussi ridicule que de le réduire au takfirisme, et qu’encore une fois, le fait de faire croire à un musulman que sa religion ne se limite qu’à cette doctrine ne saurait être mieux qu’une publicité pour l’État saoudien.

    Quelques anecdotes

    • Le plus grand détracteur (et sans doute le meilleur) de Mohammed ibn Abdelwahab n’est autre que Suleyman ibn Abdelwahab, à savoir son propre frère. Ce dernier a écrit un livre intitulé « Les foudres divines sur les thèses wahhabites » où il réfute point par point tous les arguments du premier en se référant systématiquement à Ibn Taymiyya et son disciple Ibn Qayyim al-Jawziyya, tous deux considérés par les wahhabites comme ayant une vision « pure » de l’islam.
    • Il existe un hadith « sahih » (à savoir « véridique ») rapporté par Bukhari où Mahomet prophétiserait l’avènement des wahhabites en ces mots : « De l’Est, paraîtront des gens, ils liront le Coran, mais il ne dépassera pas leurs gorges. Ils quitteront l’Islam à la vitesse avec laquelle une flèche transperce une proie. Ils ne reviendront pas [à l’Islam] tant que la flèche n’aura pas regagné son encoche. On demanda : “À quoi les reconnaîtra-t-on ?” Il répondit : “Leur signe distinctif sera qu’ils se raseront le crâne.” » Or ce signe distinctif ne peut que s’appliquer aux wahhabites, puisqu’ils sont les seuls, leurs contemporains en attestent, à s’être rasé le crâne. Cette pratique est encore en usage parmi eux. Nous pouvons donc déduire que selon la prophétie islamique même, les wahhabites sont considérés comme des hérétiques winktongue.
      
    Cactus Épineux

      1. Al-Ghafur Attar, A., « Muhammad Ibn Abdel Wahhab ». Revenir au texte.
      2. Commins, D., « The Wahhabi Mission and Saudi Arabia ». Revenir au texte.
      3. Ayoob, M. et Kosebalaban, H., « Religion and Politics in Saudi Arabia: Wahhabism and the State ». Revenir au texte.
      4. Ross Valentine, S., « Force and Fanaticism: Wahhabism in Saudi Arabia and beyond ». Revenir au texte.
      5. Congressional Research Service, « The Islamic Traditions of Wahhabism and Salafiyya ». Revenir au texte.
      6. Abou El-Fadl, Kh., « The Great Theft: wrestling Islam from the extremists ». Revenir au texte.
      7. Mikaïl, B., « La Politique américaine au Moyen-Orient ». Revenir au texte.
      8. Saint-Prot, C., « Islam: l’avenir de la tradition entre révolution et occidentalisation ». Revenir au texte.
      9. Clark, P. B. et Beyer, P., « The World’s Religions: Continuities and Transformations ». Revenir au texte.
      10. DeLong-Bas, N., « Wahhabi Islam: from revival and reform to global Jihad ». Revenir au texte.
     

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  • Les attentats bruxellois du 22/03/2016,

    ou du devoir de ne pas mélanger torchons et serviettes

    Préface

    Et c'est reparti pour un tour… au lendemain de ces énièmes attentats, qui n'ont certes pas eu lieu en France même, mais ont eu lieu tout près de chez nous et dont les retombées médiatiques méritent notre attention. En effet, dans leur sillage, nous allons avoir droit à une nouvelle vague de discours creux, de déliriums trégras, et surtout de commentaires et de déclarations musulmophobes par-ci par-là que Jean-Marie Le Pen ne renierait pas beurk.  Une désinformation omniprésente alimente cette vague de haine rentrée. Elle nous pousse à croire que les takfiristes auteurs de ces attentats représentent les plus fervents fidèles du vrai islam quand il n'en est rien. Le souci, dans cette histoire, c'est que de très nombreux chrétiens, pas forcément les plus bêtes, tombent dans le panneau. En effet, l'islam est certes belliqueux et criblé d'absurdités, et en tout état de cause, il éloigne des millions des gens du salut en Jésus Christ, mais nous avons pour devoir, en tant que chrétiens, d'être véridiques et fidèles, et donc de réfuter les mensonges, caricatures et autres diffamations envers notre prochain. C'est la vérité qui nous affranchit, pas le mensonge (Jn. 8:32).

    Chrétien ? Musulman ?
    Chrétien ? Musulman ?

     

    Pour ce faire, une personne extrêmement brillante et pleine d'amour, et bien plus versée sur la question de l'islam que moi, a bien voulu me prêter son concours et collaborer à ce blog pour ce qui concerne la question de l'islam. Elle rédigera désormais les articles traitant de l'islam sur ce blog. Vous les reconnaîtrez à sa signature à la fin de chaque article : Cactus Épineux.

    Narindra le Gobelin

    Introduction

    Attentats après attentats après attentats… C’est, semble-t-il, le triste sort de l’Europe de ces dernières années. Les médias se jettent sur la moindre allusion au terrorisme, tels des charognards affamés sur les cadavres. Chacun y va de son petit commentaire, même les moins prompts à la réflexion intellectuelle s’érigent en spécialistes de la question. Le monde est suspendu aux paroles des dirigeants de Daesh et, pire encore, à leurs armes. Ici et là, on s’indigne, on veut montrer que l’on a du coeur, que l’on est bien informés et que l’on a bien appris la leçon de moralisme droit-de-l’hommiste épris de mensonges au sujet de l’islam et de la religion en général. Si l’on y pense, n’y aurait-il pas meilleur moyen, aux yeux des dirigeants, pour discréditer toute tentative de spiritualité monothéiste que ces terribles évènements ? Voyez donc, les méchants d’aujourd’hui sont les croyants écervelés d’hier. Toutes les tares du monde se retrouvent réunies en la personne du barbu fanatique : il est ignorant mais en même temps littéraliste, il rend culte à la mort tout en rendant culte à Dieu, il tue des innocents tout en condamnant le meurtre. Les récents attentats de Bruxelles nous montrent que chaque occasion est bonne pour faire monter la sauce, Satan se pointant lui-même du doigt en vêtements de brebis. On demande à plus d’un milliard de gens sur la planète de s’excuser, eux, vils musulmans ! Le barbier ou l’épicier du coin est d’emblée soupçonné de complicité, lui qui travaille dur pour entretenir sa famille et qui observe en silence Charlie Hebdo s’essuyer les pieds sur son livre saint. Plus que jamais, on nous demande de prendre position, nous, les croyants. L’erreur que l’on fait souvent est d’user de monstres d’hystérie pour montrer que nous ne sommes pas d’accord, que nous ne marchons pas avec la Bête, que la Bête est toujours autrui de toutes manières. Œuvrons-nous ainsi à la suite de Jésus ? Sommes-nous en droit de parler tout en ignorant tout de la vérité ? Ce n’est pas ce qu’enseigne notre Livre Saint : la Bible (Ex. 23:1-2). Dans cet article, nous nous attacherons à comprendre au nom de qui agissent réellement ces terroristes : au nom de ce qui relie les peuples, quels qu’ils soient, ou au nom de ce qui les divise ?

    Daesh oeuvre contre l’islam

    L'islam est défini comme une religion monothéiste articulée autour du Coran, que le dogme islamique considère comme la parole même de Dieu. Ainsi, pour un musulman, modifier les lignes du Coran serait remettre en cause et bafouer la parole divine, acte hautement blasphématoire. Or le site marocain www.lemag.ma rapporte que des djihadistes de l'EIIL souhaitent supprimer 2 versets du Coran : le 6e verset de la sourate 109, d'une importance primordiale dans la détermination de la liberté religieuse dans l'Islam, qui dit : « À vous votre religion et à moi la mienne », ainsi que le verset n° 33 de la Sourate 33 qui dit : « Dieu ne veut que vous débarrasser de toute souillure, ô gens du Foyer, et vous purifier pleinement », interprété par les jurisconsultes comme révélant la chasteté morale d'un musulman qui suit les préceptes religieux. Si ce fait suffit pour que nous nous interrogions sur l'appartenance effective des membres du groupe Daesh à la religion musulmane, la destruction de temples religieux musulmans par ce dernier pourrait être également un fait intéressant à noter. Après avoir détruit 7 lieux de cultes chiites à Tel Afar, qui se situe à 50 km de Mossoul, ainsi qu'une Mosquée à Mossoul même, bâtie sur un site archéologique datant du VIIIe siècle av. J.-C., considéré comme l'emplacement où aurait été enterré Jonas, prophète cité à la fois par le Coran et par la Bible, les djihadistes de Daesh ont ouvertement menacé La Mecque, selon la chaîne américaine Fox News. La Mecque est en effet un lieu de pèlerinage, où des millions de fidèles, de différentes confessions de l'Islam, se rassemblent depuis le XXe siècle. Elle est considérée comme le lieu le plus sacré de l'Islam, ayant été le lieu de naissance de Mahomet et abritant la Kaaba vers laquelle se tournent les musulmans pour faire leurs 5 prières quotidiennes. La volonté de destruction de cet endroit par Daesh, outre son intérêt stratégique dans un contexte de guerre psychologique, est perçu comme un aveu symbolique de son mépris envers la religion musulmane, selon certaines sources. Par ailleurs, il est à noter que les djihadistes de Daesh sont payés (au minimum) 300 $ par mois, ce qui représente beaucoup d’argent dans le pays. Aussi, est-il évident que Daesh n’attire pas tant ses militants par un discours religieux que par l’argent.

    Qu’est-ce que le takfirisme ?

    Et pour cause... Daesh s’inscrit en effet dans la longue lignée des groupes terroristes d’influence takfiriste. En effet, le takfirisme est la doctrine qui a engendré le jihadisme terroriste moderne.

    Genèse du takfirisme

    Vous devez certainement tous connaître l’idiome « kafir »/« kouffar » : en effet, certains plaisantins en mal de reconnaissance d’origine maghrébine et adoptant le style de la sous-culture « wesh » en France se plaisent à le répéter à ceux qu’ils ne considèrent guère mieux que des « mangeurs de porc ». L’expression « takfirisme » provient de la même racine, à savoir, « kofr » qui signifie littéralement « l’impiété » ou encore « l’apostasie ». Ainsi, le takfirisme décrit le processus pour y parvenir, à savoir l’action de devenir impie et apostat.

    Cette doctrine a donc pour base un terrorisme intellectuel, qui consiste à jeter l’anathème sur toute personne n’adoptant pas ses valeurs. De cette manière, tout ceux qui n’acceptent pas le terrorisme d’inspiration wahhabite (car le wahhabisme est l’école qui a engendré le takfirisme) est automatiquement considéré comme mécréant. Aussi, les pires ennemis des terroristes ne sont ni les chrétiens, ni les juifs, ni les bouddhistes, mais bel et bien l’ensemble des musulmans qui ne partagent pas cet excès de violence, à savoir 99 % d’entre eux.

    Mostapha Chokri
    Mostapha Chokri (30/11/1946–22/1/1980)

    Cette expression de « takfirisme » est doublement pertinente, puisqu’elle consiste, comme nous l’avons vu, à déclarer impies les autres musulmans, mais aussi, par la même occasion à se déclarer impie au regard de l’islam tel que communément admis. Elle a d’ailleurs été octroyée initialement et ironiquement par les médias égyptiens à un groupe d’individus se nommant « jama’at al-muslimin » (groupement des musulmans) créé en 1971 par l’ex-taulard Mostapha Chokri, né d’une scission des Frères musulmans en 1960, qui refusaient de prier avec leurs confrères, désobéissant ainsi aux règles fondamentales de l'Oumma.1 Derrière le surnom de « takfir wa-al hijra », les médias et la population égyptienne de l’époque entendaient refuser la prétendue « islamité » de ce groupe dont le nom prêtait à confusion, et s’amusaient ironiquement du champ lexical favori de ses membres, qui consistait à jeter l’anathème (takfir) sur quiconque n’était pas en accord avec leur doctrine tout en jouant aux éternels incompris en exil (« hijra », faisant par là référence à l’Hégire, ou exode de Mahomet de la Mecque vers Médine).

    Agissant dès ses débuts comme une secte, ce groupe attire les désœuvrés de toute l’Egypte, en recherche d’amitié et de reconnaissance. En effet, suite à la crise économique des années 1970;2 la hausse du chômage et l’inflation ont entraîné la population dans la misère, et, couplée à la crise des valeurs remettant en cause le nationalisme laïque et panarabe de Gamal Abdel Nasser après la défaite contre Israël en 1967, a entraîné le désœuvrement total de beaucoup de jeunes. Ceux-ci, qui peinaient à trouver un travail ou une épouse, devinrent la cible privilégiée du groupuscule, leur promettant ainsi une vie d’aisance dans un appartement communautaire, un mariage libre de contraintes comme la dot qu’ils ne pouvaient payer et qui était alors un élément fondamental de la shari’a musulmane; et quantité de femmes en recherche de maris (en effet, les femmes furent les 1ères séduites par cette nouvelle communauté qui leur permettait d’échapper aux devoirs qui pèsent sur elles selon le modèle patriarcal). C’était, de surcroît, pour eux le moyen idéal d’échapper à la cohabitation avec leurs parents, qui était devenue une contrainte suite à la crise du logement.3 C’est ainsi que le mouvement grandit et cumula les attentats contre ceux qu’ils considéraient comme des privilégiés ou des bourgeois, sous couvert de guerre sainte. En 1977, ils assassinèrent le Cheikh Dababi, ex-ministre des waqfs et dignitaire de l’école théologique Al-Azhar, avant que le groupe ne fût provisoirement démantelé. Anouar As-Sadate, voyant là un moyen de contrer la montée en puissance de la gauche nassérienne dans les universités, finit par réhabiliter le groupe en le finançant, et en l’encourageant dans ses basses œuvres.

    Doctrine du takfirisme

    Sayid Qotb
    Sayid Qotb (9/10/1906–29/8/1966)

    Du point de vue doctrinal, le takfirisme s’inspire en majeure partie des textes de l’homme politique (sic) Sayid Qotb. Celui-ci part du présupposé que l’apostasie est passible de mort et que tous les musulmans qui ne sont pas d’accord avec lui sont… des apostats. Le fondement de la doctrine takfiriste est le machiavélisme (« la fin justifie les moyens »). Les takfiristes doivent jouir de leur vie terrestre sans se soucier de la loi de Dieu ici-bas, car ils sont Ses élus dès lors qu’ils persécutent ceux qu’ils considèrent comme des mécréants (tout le reste du monde). Cela conduit aux pires aberrations :

    • ils sont tenus de tuer tout ce qui bouge et qui ne fait pas partie de leur mouvement
    • ils sont incités à s’enivrer (les beuveries sont légion dans les grottes dans lesquelles ils se retirent)
    • ils peuvent user et abuser de toutes les autres femmes puisque celles-ci sont, de toutes manières, des moins-que-rien
    • ils doivent consommer de la drogue pour augmenter leurs performance et réduire les sentiments les plus inhérents à l’être humain tels que la fatigue, la compassion ou la pitié…
    • etc.

    Ibrahim Awad Ibrahim Ali al-Badri
    Ibrahim Awwad Ibrahim Ali al-Badri al-Samarraï (28/7/1971–27/10/2019)

    En effet, la « hijra » couplée au « takfir » signifie que l’existence se cantonne à leur cercle et que tout ce qui n’est pas à l’intérieur de leur cercle est, par définition, insignifiant. Ce sont, dès lors, les seuls humains dignes de vivre sur Terre. La déshumanisation de l’ennemi est ainsi le fondement de la secte takfiri. Les partisans de cette doctrine doivent systématiquement se regrouper derrière une personne charismatique4 qui a tantôt le statut de « mahdi » (« roi élu par Dieu ») – figure apocalyptique issue des ahadith (et non du Coran !) dont l’arrivée précéderait celle du Messie Jésus Christ – à l’instar de Mostapha Chokri, tantôt celui de Calife qui doit diriger ses ouailles dans une guerre violente contre l’ensemble de l’Humanité jusqu’à ce qu’elle se plie à ses valeurs, comme Abou Bakr Al-Baghdadi.

    Nous avons vu ici qu’il est tout à fait ridicule de considérer que les attentats qui ont été perpétrés ces dernières années sous l’influence de groupements terroristes d’inspiration wahhabite aient été le fait de musulmans, à moins de donner raison au takfiristes en leur reconnaissant exclusivement l’appellation de musulmans, au détriment de leurs principaux ennemis… à savoir les musulmans eux-mêmes. Maintenant que vous avez les clefs en main pour comprendre pourquoi Mohammed, votre collègue de bureau, vous paraît si gentil tout en ayant une religion si barbare (énorme contradiction médiatique), vous pourrez expliquer à votre tour aux gens que le terrorisme d’inspiration wahhabite ne représente guère mieux l’islam que le Ku Klux Klan ne représente la doctrine de Jésus Christ. Nous ne disons pas ici que l’islam est exempt de violence ou d’incohérences, mais à la suite de Jésus, et suivant les bases les plus élémentaires de l’honnêteté intellectuelle, nous nous devons en tant que chrétiens de ne pas porter faux témoignage contre notre prochain, ni d’accuser quelque chose ou quelqu’un de ce dont il n’est pas responsable. En effet, lorsque l’opprobre est jetée sur l’innocent, elle n’est plus justice mais haine. Or la haine n’engendre rien d’autre que la haine (Pr. 10:12), elle est donc par définition contre-productive : pas étonnant donc que certains musulmans en viennent à se radicaliser à force de s'entendre dire que les fondements de leur religion sont la violence et le meurtre. Il serait donc plus habile d’agir à l’instar de Notre Seigneur, Dont la justice est sans faille, et Qui enseigne d’aimer son prochain comme soi-même (Mat 22:39), car qui voudrait se voir injustement accusé d’idolâtrer la violence ?

    Cactus Épineux

    1. Sageman, M., « Understanding terror networks », p. 14. Revenir au texte.
    2. Handoussa, H., « The impact of foreign Aid on Egypt's Economic Development 1952-1986 ». Revenir au texte.
    3. Ayad, C., « Géopolitique de l’Egypte ». Revenir au texte.
    4. Wright, R., « Sacred Rage », p. 180, 1985. Revenir au texte.

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